Quand on aime
"Quand on aime, on ne compte pas" dit le proberbe. Amma prétend qu'elle prodigue à l'humanité toute entière un amour illimité, infini, divin. Quelle surprise alors de constater qu'elle compte.
En effet, elle compte le nombre de personnes qui passent au darshan et ce n'est un secret pour personne. La prochaine fois que vous assisterez à un programme, vous pourrez éventuellement regarder sa main droite. Elle y porte une bague à japa mantra. Ce genre de bague sert habituellement à compter le nombre de mantras qu'on répète mentalement. À chaque fois qu'on dit son mantra, on clique avec le pouce sur le bouton de la bague enfilée sur l'index. L'écran analogique affiche ainsi le nombre total de fois où on a répété son mantra. C'est un peu comme un chapelet électronique, on clique au lieu d'égrainer.
Amma se sert d'une telle bague pour compter le nombre de personnes qui passent au darshan à chaque programme. Une personne passe, elle clique. Une famille passe, elle clique autant de fois qu'il y a de membres dans la famille. L'écran de la bague est tourné vers elle donc ceux qui sont face à elle ne peuvent voir que l'anneau. Elle clique au moment où les gens sont blottis contre elle.
Le nombre de personnes "darshanées" n'est jamais communiqué aux organisateurs du programme, alors que fait Amma avec ces données chiffrées?
Contrairement à ce que croit le public, Amma compte beaucoup. Elle exige d'avoir accès à tous les chiffres, elle scrute la comptabilité des organisateurs et se réserve le droit d'interdire telle ou telle dépense, aussi utile soit-elle. Tout le monde croit que le darshan est magique et spontané alors que tout est calculé, régulé, anticipé, pensé, pesé. Tout est rationalisé que pour que la chaîne soit intensive mais fluide, exactement comme dans une usine. Mettre en place un fonctionnement industriel exige d'avoir des informations exhaustives. Il n'est donc pas étonnant qu'Amma compte le public.
Peut-être que cela lui sert à faire des statistiques sur la fréquentation des programmes, d'une ville à l'autre, d'une année sur l'autre. Peut-être que cela sert à évaluer les biens à emporter sur le tour (bonbons, paquets de cendre sacrée, marchandises à vendre...). Peut-être que cela sert à évaluer le nombre de tickets supplémentaires à délivrer en milieu de programme pour ceux qui ont raté la distribution principale. Peut-être que cela permet de déterminer la rentabilité d'une ville, car l'organisation peut comparer le nombre de participants avec le montant des recettes engrangées. Peut-être que cela sert de soutien à Amma, comme les détenus qui tracent des barres sur les murs pour visualiser le nombres de jours passés en prison. Qui sait?
Est-ce qu'elle enlève cette bague lorsqu'il y a des journalistes, pour éviter de faire mauvaise impression?
En tout cas Amma compte. Elle n'arrête pas de compter. Il faut que les sous rentrent le plus possible et sortent le moins possible.
Si une ville souhaite accueillir Amma, les organisateurs doivent louer et décorer une salle immense, imprimer des milliers de prospectus pour faire la publicité de l'événement, héberger et nourrir Amma ainsi que ses 200 (!) bénévoles itinérants, laver le linge des 200 (!) bénévoles itinérants, fournir les milliers de pétales de fleur, acheter les denrées alimentaires pour servir les repas indiens, fournir les plateaux, verres et couverts pour manger, acheter le nécessaire pour les diverses cérémonies, fournir des téléphones portable avec du crédit pour téléphoner une dizaine d'heures en Inde... mais surtout fournir une connexion wifi dans la salle du programme pour que les swamis puissent lire leurs emails et pour que l'équipe de communication indienne puisse mettre à jour en temps réel les sites internet, comptes twitter, facebook, youtube et autres média en ligne.
Pour sa part, Amma encaisse les dons, les bénéfices de la boutique, la caisse de la restauration indienne, les recettes de la grande puja publique, les recettes de la petite puja privée, les honoraires des mariages et les baptêmes, l'argent de la vente des colliers de fleurs, bouquets de fleurs et panier de fruits... Les visiteurs extérieurs ne peuvent pas s'imaginer la quantité d'argent qui circule derrière les sourires drapés de blanc et de rouge.
Les organisateurs fournissent, Amma encaisse. Alors comment sont financés les programmes? Les dévots font des dons tout au long de l'année afin de financer la venue d'Amma. Il s'agit là d'une demande stricte d'Amma. Elle exige que n'importe qui puisse venir la voir sans débourser un cent, c'est normal, ça attire plus de monde. Donc l'entrée est gratuite pour le public parce que les bénévoles payent de leur poche. Amma tolère la vente de nourriture occidentale pour aider à couvrir les frais car tout cela coûte une fortune. Les organisateurs doivent batailler chaque année pour que leur programme ne soit pas déficiataire, ce qui est délicat dans des pays où la législation impose des règles sanitaires et sécuritaire strictes et onéreuses.
D'un côté, Amma compte les gens qui passent au darshan, elle applaudit l'argent qui rentre et râle face aux dépenses. De l'autre côté, les organisateurs locaux donnent des milliers d'euros, des milliers d'heures de travail et des milliers de larmes. Lorsqu'on aime on ne compte pas? Qui aime vraiment au final?