Vive le "burkini"
Avec le temps, les informations se décantent et les choses reprennent leur juste place. Un souvenir honteux m'est brusquement revenu en mémoire aujourd'hui. Je me suis rappelée de mon séjour en 2010 à Amritapuri, l'ashram d'Amma dans le Kerala. Mata Amritanandamayi ! La championne de la cause des femmes. Celle qui fait activement la promotion du "Woman Empowerment", terme à la mode, intraduisible en français. En gros il s'agit de redonner le pouvoir à la femme, notamment en restaurant sa confiance en elle-même. Ça passe entre autre par l'acceptation de son corps.
Personnellement j'adore me baigner, surtout à la mer. A défaut d'océan rempli de belles vagues salées qui déplacent des torrents de sable, je peux me contenter d'une piscine d'eau plate, statique qui sent le chlore.
L'ashram est en bord de mer mais il est strictement interdit de s'y baigner. Il paraît que les indiens ne se baignent jamais par pudeur. On ne peut pas faire trempette au risque de choquer les populations locales ? Pas grave. Il y a une petite piscine à l'intérieur de l'ashram.
Attention, la piscine est non-mixte. Elle est entourée de hauts murs pour que personne ne puisse voir ce qui s'y passe. Elle affiche des créneaux horaires réservés aux hommes, d'autres pour les femmes. Les hommes ont le droit de se baigner comme bon leur semble. Et les femmes ?
Ah non ! Les femmes ont l'interdiction de faire ce qu'elles veulent. Pour être autorisées à entrer dans la piscine, elles doivent obligatoirement acheter un genre de large salopette qui descend jusqu'aux pieds. Vêtues de la sorte, elles ont le droit de nager dans la piscine. Comme le vêtement de bain pudique est en coton, il devient un peu transparent avec l'eau donc il faut porter un maillot de bain en plus.
Je résume. Les homme se baignent comme ils veulent. Les femmes mettent leur maillot de bain puis enfilent une salopette en coton par dessus. Pourtant la piscine est non-mixte. Lorsque les femmes s'y baignent il n'y a que des femmes. On est entre nous, on pourrait pas se détendre un peu ? Et bien non.
La culture indienne impose à la femme une pudeur que je trouve déstabilisante. Elles peuvent montrer leur ventre, vu que les saris traditionnels sont ouverts au niveau de l'abdomen. Tout le reste du corps doit être soigneusement caché. Les débardeurs sont à éviter car ils dénudent les épaules. Une femme qui montre ses épaules à un moine est coupable d'attentat à la pudeur. Les shorts et les jupes sont évidemment déconseillés puisqu'ils exposent les jambes.
On se retrouve ainsi dans un environnement étrange où les hommes torse-nus, vêtus d'un court pagne qui s'arrête au dessus des genoux, côtoient des femmes sur-enveloppées d'un tissu de 8 mètres de long, avec un corsage en dessous pour cacher les épaules, avec un jupon sous le sari pour... Pourquoi ? Le sari dissimule déjà les jambes jusqu'aux chevilles. Cependant il faut porter un long jupon sous le sari sinon tout le monde vous regarde avec dégoût.
L'injonction à la pudeur est constante. Au point que la piscine n'est pas un lieu de détente. Il faut continuer à tout cacher, même dans l'eau, même entre femmes.
Je repense à moi, barbottant dans le bassin, très gênée dans mes mouvements par ce chiffon jaune dans lequel je me sentais ridicule mais néanmoins contente d'être là. Je repense à toutes ces femmes occidentales venues du monde entier, qui chez elles se battent pour un monde plus équitable, mais qui acceptent qu'on leur impose des règles de vie inéquitables lorsque que les ordres viennent du maître spirituel. Si un journaliste m'avait demandé si le port de ce "burkini hindou" était un libre choix de ma part, j'aurais certainement répondu : "bof, c'est chiant à porter, c'est moche mais je fais ce qu'Amma dit de faire, elle a sûrement de bonnes raisons". La joie d'obéir sans réfléchir. On retrouve un peu l'insouciance de l'enfance lorsque les parents décidaient de tout à la maison. Pendant ces cinq années passées à la suivre, j'ai mis mon cerveau en veille. Le redémarrage prend du temps.
Cette vidéo d'Amrita Campus contribue à rallumer le mental. Il s'agit d'un tournoi féminin de handball inter-universitaire. Admirons la tenue "souple et pratique" que portent ces jeunes étudiantes pour pratiquer un sport très physique dans un pays où la température dépasse 30°.
J'ai participé à des tournois de handball au lycée et à la fac. Je ne comprends pas ces images incongrues. Comment courir vite avec tout ce tissu qui flotte partout ? Comment bouger les bras avec la chemise serrée et le gilet étroitement boutonné ? Comment évacuer la chaleur dans cette tenue ? Pourrait-on utiliser des dossards pour différencier les joueuses des deux équipes ? Que nenni. Un gros sweat à manches longues, bien épais, bien lourd et bien chaud fera l'affaire.
Sur les vidéos de tournoi masculin d'Amrita Campus, on voit que les garçons sont en tenues de sport classiques. On voit aussi que dans les autres universités indiennes, les joueuses ont droit au short et au T-shirt. Seules les filles qui étudient chez Amma sont condamnées à conserver leur uniforme pudique dans pareille situation. Avez-vous remarqué les cheveux des joueuses ? Le règlement intérieur des établissements d'Amma stipulent que les élèves féminines doivent avoir les cheveux longs et attachés. Les cheveux courts ou lâchés sont INTERDITS.
Je plains ces femmes qui trouvent parfaitement normal qu'on leur interdise tout et n'importe quoi puisqu'elles y sont habituées depuis l'enfance. Je suis triste pour ces filles qui n'ont même pas droit à un minimum de confort lorsque les circonstances l'exigent. Je déplore les traditions religieuses qui prennent le pas sur le bon sens. J'en veux à ces dévots occidentaux qui (comme moi autrefois) acceptent avec joie des diktats qu'ils refuseraient dans leur vie quotidienne dans leur propre pays.
Je suis en colère contre ces gens qui continuent à clamer la valeur soi-disant universelle d'Amma alors que les faits parlent d'eux-mêmes. Elle est totalement dédiée à la promotion d'un hindouisme patriarcal. Là où certaines religions sèment la terreur pour imposer leur idéologie, Amma utilise la séduction, l'évocation de l'affection maternelle, la chaleur du câlin, la sécurité du réconfort... bref le bouleversement émotionnel. Reconnaissons que c'est infiniment plus efficace.