Les enseignements

Malgré ses déclarations officielles, Amma est bel et bien hindouiste. Outre la récitation des noms sacrés de divinités hindoues, elle invite ses dévots à apprendre le sanscrit, alors qu'il s'agit d'une langue morte équivalente au latin. Quel rapport entre la compassion et le latin? Je n'en vois pas. Le sanscrit serait un idiome hautement sacré tandis que le latin ne serait qu'une simple langue humaine? Quoi qu'il en soit pendant 5 années, cette religion m'a semblé plus authentique que les autres. Mais en occident, nous ne percevons que la surface extrêmement colorée d'un culte dont nous ignorons la teneur réelle. Nous adhérons à n'importe quoi en toute méconnaissance de cause. Les livres et discours d'Amma prônent le Sanatana dharma, la conduite juste, basée entre autre sur les lois de Manu. Nous répétons que ces lois sont les plus justes qui soient. Avez vous lu ces lois? Elles m'ont scotchée au plafond. Je ne peux pas m'empêcher d'en citer quelques extraits particulièrement "réjouissants" :

Livre 5

Une petite fille, une jeune femme, une femme mûre, ne doivent jamais rien faire de leur propre autorité, même dans leur maison.
Dans l'enfance la femme doit être dépendante de son père, dans la jeunesse, de son époux, et si son mari est mort, de ses fils; elle ne doit jamais jouir de l'indépendance.
Même indigne, débauché, dépourvu de qualités, un époux doit toujours être révéré comme un dieu par une femme vertueuse.
Par son infidélité à son époux, une femme encourt le blâme dans ce monde; après la mort elle renaît dans le ventre d'un chacal, ou bien elle est tourmentée par des maladies en punition de son crime.

Livre 8

Un homme tout seul, qui est exempt de convoitise, peut dans certains cas être admis comme témoin, mais non plusieurs femmes, même honnêtes, à cause de l'inconstance de l'esprit féminin, non plus que d'autres hommes souillés de péchés.
Une femme, un fils, un esclave, un élève, un jeune frère utérin, peuvent être châtiés pour une faute commise, avec une corde ou une canne de bambou
Un homme de la dernière caste qui adresse des insultes grossières à des Dvidjas mérite qu'on lui coupe la langue ; car son extraction est vile.
S'il mentionne leur nom et leur caste d'une façon outrageante, on lui enfoncera dans la bouche une tige de fer rouge longue de dix doigts.
Si par insolence il veut en remontrer aux Brahmanes sur leurs devoirs, que le prince lui fasse verser de l'huile bouillante dans la bouche et dans l'oreille.
Si une femme fière de sa parenté ou de ses propres avantages, outrage son époux en se donnant à un autre, que le roi la fasse dévorer par des chiens en un lieu très fréquenté.

Livre 9

Les femmes ne regardent pas à la beauté, et ne tiennent aucun compte de l'âge ; beau ou laid elles se disent : « C'est un homme », et se donnent à lui.
Par passion pour l'homme, par mobilité d'esprit, par manque naturel d'affection, elles trahissent ici-bas leurs époux, quelque soigneusement qu'on les garde.
Donc connaissant cette disposition naturelle qu'a mise en elles le Créateur au moment de la création, l'homme doit apporter un soin extrême à les garder.
Les femmes doivent être particulièrement préservées contre les mauvaises inclinations, fussent-elles sans conséquence ; car non surveillées, elles feront le chagrin de deux familles.
L'amour de leur lit, de leur siège, de la toilette, la luxure, la colère, les penchants vicieux, la malice et la dépravation, voilà les attributs que Manou assigna aux femmes.
Pour les femmes, il n'y a point de cérémonies religieuses accompagnées de prières : telle est la loi établie. Les femmes, êtres incomplets et exclus des prières, sont le mensonge même : telle est la règle.

Livre 11

Celui qui a souillé la couche d'un gourou confessera son crime, et se couchera sur un lit de fer rougi, ou embrassera un tuyau de métal incandescent; par sa mort il sera purifié.
Ou bien il se coupera lui-même la verge et les testicules, et les portant dans le creux de ses mains, il se dirigera vers la région du Sud-Ouest, en marchant tout droit devant lui jusqu'à ce qu'il tombe mort.

J'ai halluciné! Le fonctionnement de l'hindouisme est identique à celui du catholicisme que j'ai pratiqué dans mon enfance. Les textes anciens contiennent les 3 mêmes principes de base :

  1. la femme est minable par nature
  2. certains hommes sont supérieurs de naissance
  3. ceux qui désobéissent subissent des tortures cruelles

Par contre les enseignements modernes s'inscrivent dans leur époque. Ils sont ouverts, tolérants, débordants d'intelligence et de bienveillance, car ils n'utilisent que les textes en accord avec la mentalité contemporaine. Les écrits sacrés qui pourraient choquer sont passés sous silence ou réinterprétés pour leur donner une signification symbolique. C'est possible parce que la majorité des gens ne lisent pas les textes sacrés. Ils ont confiance en ce qui est dit lors des cérémonies ou des enseignements. Certains lisent mais ils se limitent aux textes recommandés et aux interprétations réglementaires. Donc au final peu de personnes voient les fondements réels de la religion.

Le catholicisme fait exactement la même chose. Aucun catéchiste, aucun prêtre ne dit à ses ouailles que dans le nouveau testament, Saint Paul ordonne aux femmes de se voiler la tête et de ne pas prendre la parole en public sous peine de faire honte à dieu et à leur mari. C'est dans la bible que j'ai appris qu'il était normal lors du pillage d'un village, d'éventrer les femmes enceintes et de jeter les nouveaux nés contre les murs. Si l'hindouisme fait la même chose que le catholicisme, comment expliquer son attrait?

L'hindouisme offre énormément d'outils d'auto-manipulation physique, émotionnelle et mentale. Ses pratiques spirituelles sont de bons moyens pour rendre le corps plus malléable, se mettre en extase, avoir des perceptions extra-sensorielles, se submerger d'émotions, apprendre à maîtriser son mental... le but étant normalement de se rapprocher du divin. Mais en cherchant bien, on se rend compte que des pratiques similaires existent aussi en occident sauf qu'elles sont moins médiatisées, voire même dénigrées. Ainsi l'hésychasme de la tradition orthodoxe offre toute une palette de pratiques pour se retirer du monde, éteindre ses passions, obtenir le calme intérieur et faire l'expérience du divin. Le quiétisme propose une voie mystique pour atteindre Dieu avant la mort. Pourquoi aller chercher si loin ce qui existe en Europe?

Mon avis personnel va peut-être en faire bondir certains mais tant pis, ce n'est qu'un avis. La grosse différence que je vois entre l'hindouisme et le catholicisme, c'est la hiérarchisation à outrance. De ce fait, leurs expressions sont radicalement opposées.

Amma a inventé sa propre définition du darshan, qui est un terme hindou générique signifiant "vision de dieu". C'est banal en Inde. Chaque maître spirituel propose sa vision personnelle de dieu. Est-ce qu'une sainte pourrait ainsi redéfinir les concepts de la religion catholique à sa convenance? Non, on ne touche à rien. Seuls les ecclésiastiques placés tout en haut de la hiérarchie ont le droit de modifier ce qui peut l'être.

Amma a des centaines de disciples, des milliers de dévots, diffuse son propre enseignement, préside des cérémonies, est invitée aux inaugurations, donne son avis lors des grandes réunions, décide l'ordination d'officiants, bénit des objets, a le droit d'être priée et vénérée. Elle est une dirigeante spirituelle et religieuse à part entière en Inde. Est-il possible d'être intégré à la hiérarchie catholique sur la seule base de ses mérites spirituels? Absolument pas. Il faut passer par le séminaire. Les diplômes sont obligatoires pour avoir voix au chapitre. D'ailleurs une femme ne peut que devenir nonne, tandis qu'un homme peut grimper les échelons administratifs, jusqu'au poste suprême, pape, chef des chefs.

Amma est servie par des membres du sacerdoce hindou. Est-ce qu'une catholique pourrait être ainsi traitée par des moines, des prêtres ou des évêques en admiration devant sa sainteté? Bien sûr que non! Lorsqu'une catholique rencontre un ecclésiastique, c'est à elle de s'incliner devant lui, même si elle sainte. Le diplôme a plus de valeur que l'expérience.

D'une façon générale, les pratiquants catholiques sont ainsi cantonnés à un rôle passif de spectateurs d'un film dont les ecclésiastiques sont les seuls acteurs. Il y a d'une part le berger qui dirige, d'autre part les brebis qui suivent. L'église fonctionne sur le même modèle qu'un gouvernement qui administre ses citoyens à travers les fonctionnaires. Une sainte, même portée par la liesse populaire, est reconnue par l'église via une procédure administrative qui est censée intervenir au plus tôt 100 ans après son décès. Toute cette lourdeur institutionnelle fait que cette religion est éloignée du peuple, rendant sa pratique statique, rigide, monotone, froide, plate, lisse.

A l'opposé il y a l'hindouisme, où la faiblesse relative de l'administration, autorise la ferveur populaire à intervenir directement. Une personne considérée comme spirituelle peut devenir une dirigeante religieuse de son vivant, voire même une divinité.  Ça change tout. Les gens sont acteurs de leur religion alors ils s'y consacrent corps et âme. Ils cultivent la ferveur par tous les moyens, ils rivalisent de dévotion. Cela donne au culte beaucoup de dynamisme ainsi que des pratiques joyeuses, variées, intenses, agitées, chaleureuses. Chacun peut jouer le premier rôle s'il s'investit ardemment. Cela suscite énormément de vocations spontanées ou calculées, sincères ou hypocrites, réelles ou imaginaires. Évidemment il existe un garde-fou : il est strictement interdit de remettre la religion en cause. L'utiliser? Oui. La questionner? Non. Le peuple étant l'acteur principal de la religion, le moindre écart est sanctionné par le peuple lui-même, car menacer la religion, c'est menacer le pouvoir du peuple.

Amma propose à ses dévots de pratiquer une forme d'hindouisme très allégé. Sa démarche est-elle spontanée ou calculée, sincère ou hypocrite, réelle ou imaginaire? Je n'en sais rien et la réponse m'intéresse peu à présent. Les religions sont des cadres susceptibles de favoriser l'expression de la spiritualité. Chacun peut accrocher le paysage de son esprit dans le cadre qui lui convient le mieux. Si nous avions tous besoin du même cadre, nous serions des clones. Ceux qui aiment la structuration intellectuelle peuvent éventuellement s'exprimer dans le catholicisme. Ceux qui aiment la spontanéité émotionnelle peuvent éventuellement s'exprimer dans l'hindouisme. Ils peuvent éventuellement s'exprimer aileurs car ce ne sont pas les religions qui manquent. Pour ma part je vais continuer mon chemin. Je ne sais pas ce que je cherche comme cadre, je sais seulement que ceux que j'ai rencontrés jusqu'à présent me paraissent trop fragiles.

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