Les liaisons dangereuses

Lorsqu'on est dévot d'Amma, il est coutume de dire qu'elle est dans un état divin mais que son entourage est composé d'êtres humains qui cheminent spirituellement, donc susceptibles de commettre des erreurs. Résultat, tout ce qui vient d'elle est obligatoirement bien, tout ce qui est mal vient forcément de ses dévots. Qui parmi les occidentaux va oser critiquer une sainte, au risque de paraître laisser du terrain à l'ego alors que le maître recommande de le détruire? Qui parmi les orientaux va oser critiquer une puissante dirigeante religieuse hindoue, au risque de subir de cuisantes représailles?

Après ma première rencontre avec Amma, je me suis précipitée sur internet pour savoir ce que monsieur tout  le monde pensait d'elle car j''ai horreur de voir seulement le positif. J'aime voir la face lumineuse et la face sombre, pour comprendre réellement où je suis. Cela me permet de m'investir en toute sincérité et sans jugement. Je n'ai trouvé que des articles élogieux à son sujet, pas une seule critique. C'est normal, les sites élogieux sont innombrables et ils paradent en tête des moteurs de recherche. A l'époque j'en avais déduit que je me trouvais face au seul maître spirituel sans tâche, un miracle de plus.

C'est par le bouche à oreille que j'ai eu vent du témoignage de Gail Tredwell, juste au moment où je commençais à vraiment fatiguer et à vouloir quitter le mouvement. À partir de là j'ai eu les bons mot-clés pour mener mes recherches et trouver enfin des informations sur la face cachée d'Amma. Elle révèle entre autre un entourage de dévots, dont le comportement est assez surprenant de la part de chercheurs spirituels.

Ramakrishna Karuturi

L'organisateur de la venue d'Amma au Kénya, est le propriétaire de la plus grande ferme de rose du monde. Nagesh Karuturi est le responsable de l'inévitable association caritative d'Amma dans ce pays. Leur patronyme commun laisse à penser qu'ils sont de la même famille. Là comme en Inde, des opérations humanitaires sont menées à grand renfort de couverture médiatique, sous le patronage de politiciens ou en lien avec d'autres associations. Seulement voilà, en 2013 le gouvernement kényan a déclaré la société Karuturi Global Ltd, coupable de fraude fiscale. C'est une première en Afrique, où la complaisance et la complicité des autorités permet à tout organisme ambitieux de piller ce que bon lui semble.

Il est également accusé d'atteintes aux droits de l'homme et de constituer une menace pour l'environnement. En effet Karuturi se livre à un intensif accaparement de terre en Éthiopie où la rupture d'une digue construite en vue d'irriguer ses cultures, a inondé un village et rendu marécageux 100 000 hectares de terre cultivable. Officiellement, les cultures sont présentées comme une source de développement. Officieusement des voix s'élèvent pour dénoncer une attitude néo-colonialiste. Selon la page wiki sur l'accaparement des terres, les employés de Karuturi Global en Éthiopie ont un salaire inférieur à 2$ par jour, ce qui est en dessous du seuil de pauvreté fixé par la Banque Mondiale.

Est-ce qu'une telle avidité au détriment de la vie humaine peut être mise sur le compte des simples égarements d'un dévot qui chemine spirituellement? En voilà donc un chemin qu'il est bien étrange. Le maître spirituel corrige les erreurs de ses disciples. Il peut arriver qu'Amma reprenne un dévot qui épluche mal un légume. Dans ses enseignements, elle fustige la cupidité et l'égoïsme. Est-ce que cela s'applique aussi à Ramakrishna Karuturi ou bien ses actes ont une légitimité d'un point de vue divin? Est-ce qu'il faut croire Gail Tredwell lorsqu'elle dit qu'Amma déroule le tapis rouge pour les riches?

Taavi Kassila

Ce finlandais spirituellement prénommé Rishi, est un réalisateur de film, professeur de yoga, instructeur en méditation et dévot d'Amma depuis une vingtaine d'années. Grande figure du paysage spirituel en Finlande, il se présente comme un fervent défenseur de la chasteté. Mais en juin 2011 une femme a ouvert un blog dans lequel elle l'a accusé, sans le nommer, de lui avoir transmis une forme d'herpès génital. Ce témoignage a déchaîné les passions et Taavi a été rapidement identifié. Tandis que d'autres femmes confirmaient que cet homme était un prédateur sexuel, une véritable guerre s'est déroulée sur internet entre les différents protagonistes. Il est difficile de démêler le vrai du faux dans cette histoire. Si j'en parle tout de même, c'est parce qu'un détail m'a interpellée. La principale accusatrice déclare sur son blog que malgré la liberté d'expression, il est impossible de critiquer Amma en Finlande. Je ne sais pas si la traduction automatique est correct car elle semble dire que critiquer Amma revient à commettre un suicide social.

Le centre Amma de Finlande a publié un démenti officiel disant que Taavi Kassila n'avait aucun lien particulier avec eux. Pourtant sa page wikipédia précise qu'il est le fondateur du centre et qu'il en a été le président. D'après ses détracteurs, tous les articles qui évoquaient sa décision de vivre dans la chasteté et ses liens avec Amma ont été effacés, aussi bien sur les sites internet d'Amma que sur des blogs et dans des médias officiels. Effectivement une bonne partie des liens renvoyés par les moteurs de recherche mènent vers des pages inexistantes. J'ai tout de même réussi à dénicher une interview de 2011 où il déclare lui même être renonçant en Inde depuis 2 ans.

La jeune femme a finalement été condamnée par un tribunal d'Helsinki en août 2013 à payer 26 000€ de dommages et intérêts. La cour a visiblement jugé qu'elle avait diffusé publiquement trop d'informations à caractère privé. Bien qu'il ait gagné le procès, Taavi Kassila a bloqué la tentative d'un internaute de rajouter cette affaire sur sa page wikipedia. En effet sa victoire prouve que sa vie privée a été étalée. Donc les allégations à son encontre sont susceptibles d'être vraies. Cela signifie qu'il prêche publiquement la chasteté en toute hypocrisie.

Sugunanathan Idamanel

Dans son livre en malayalam, paru en 1985, l'ex-policier Sreeni Pattathanam évoque la famille d'Amma. Il y aurait écrit que son père, Sugunanathan, menaçait de tuer ses adversaires, se targuant que la loi ne le toucherait pas car tous les fonctionnaires du gouvernement sont des dévots de sa fille. M. Pattathanam reproduit une plainte déposée par A.K. Manimallika, une ex-dévote qui vivait avec la famille d'Amma. Après avoir refusé les avances sexuelles de Sugunanathan, elle aurait été tabassée et jetée hors de l'ashram. Dans sa plainte Manimallika accuse la père d'Amma de l'avoir menacée de mort en disant : " Même le premier ministre et les ministres s'inclinent aux pieds de ma fille. Personne ne lèvera le petit doigt contre nous. Même si on te tue, personne ne fera rien". La plainte est restée sans suite.

La biographie officielle d'Amma présente son père comme un homme vertueux. Si cette plainte de police est bien réelle alors c'est loin d'être le cas. Si cette plainte existe alors elle a été déposée avant 1985, au moment où Amma était encore relativement inconnue. On ne peut donc pas accuser Manimallika d'avoir inventé une histoire pour s'enrichir dans un procès à scandale.

Les dévots

Amma semble bénéficier d'une immunité médiatique quasi divine. D'un côté, des d'internautes la dénigrent et l'insultent, parfois sans l'avoir rencontrée une seule fois. Cet étalage de haine gratuite est selon moi contre-productif. J'ai évité de référencer de tels sites, même si leur contenu est parfois fort instructif. D'un autre côté, beaucoup de dévots d'Amma ont recourt au mensonge, à la menace ou au passage à tabac pour la défendre.

C'est ainsi que bien souvent, dans les centres de par le monde, lorsqu'une personne veut faire appliquer ses propres méthodes sans rencontrer d'opposition, elle a la possibilité d'utiliser la formule magique : "Amma a dit ...". Il lui suffit de remplacer les 3 petits points par sa décision personnelle pour que les bénévoles obéissent sans discuter. Le résultat, c'est que la vie dans les centres ressemble beaucoup à la vie normale, les personnes honnêtes restent en bas et se font éventuellement piétiner, ceux qui n'ont aucun scrupule grimpent vers le sommet et du fait de leurs responsabilités, se rapprochent de plus en plus d'Amma.

Lors de mon séjour en Inde, l'un des astrologues m'a recommandé d'acheter une émeraude auprès de la Swamini. Elle m'a montré une jolie pierre verte en disant qu'elle faisait 4.85 carats, qu'on lui reprochait de ne pas les vendre assez cher, qu'elle me la faisait à 300$ et que je pouvais la faire bénir par Amma. Ce détail signifie qu'Amma n'avait jamais été en contact avec cette pierre donc le prix indiqué concernait uniquement la valeur de l'émeraude. Je l'ai achetée. 3 ans plus tard, en proie à des difficultés financières et désormais détachée du mouvement, j'ai tenté de revendre l'émeraude. Le bijoutier de mon quartier m'a annoncé qu'elle faisait moins d'un carat et qu'elle valait tout au plus 40€. Je suis partie en pensant qu'il essayait de m'arnaquer. J'ai cherché sur internet, j'ai vu des tas de pierres identiques à la mienne, effectivement elles valent entre 30 et 50€. Est-ce que la Swamini m'a volontairement truandée? Est-ce qu'elle fait confiance à quelqu'un qui lui ment pour l'estimation des pierres? Et "ON" lui reproche de ne pas les vendre assez cher alors que leur prix est une escroquerie?

Autre exemple, en Avril 2007 les dévots d'Amma à Delhi collent des affiches promotionnelles dans le quartier de Green Avenue, car leur ashram est situé juste à côté. Après le passage d'Amma, les habitants demandent aux ashramites de retirer leurs affiches, ils refusent. Les habitants retirent les affiches eux-mêmes et se font alors tabasser à coup de barre de fer par les ashramites. Sur son blog, un internaute cite un extrait qui figurait sur la page wiki d'Amma. Il a été supprimé depuis mais il figure dans l'historique de wikipedia. L'historique contenait également les pages scannées du magazine Society, qui a relaté l'affaire dans son édition papier. Une ashramite aurait déchiré ses propres vêtements en menaçant de porter plainte pour viol, contre les habitants de Green Avenue. Visiblement la police a refusé d'intervenir lors de l'agression, par peur des représailles. Amma n'a pas réagi non plus malgré les courriers lui demandant de sanctionner les ashramites pour leur violence gratuite et incompréhensible.

Les exemples de ce genre sont nombreux. Bien entendu, Amma n'est pas responsable de ce que font ses dévots. La majorité d'entre eux ont certainement une démarche sincère. Mais nombreux sont ceux dont l'attitude est douteuse, voire scandaleuse. Qu'est-ce que le mot "spiritualité" signifie pour eux? Que pense la mère divine des méfaits de ses enfants?

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