La relation maître-disciple

Après avoir quitté le mouvement, je me suis demandée si je n'avais pas fait la plus grosse bêtise de toute ma vie. Je n'avais plus d'amis, plus de vie sociale, plus d'objectif dans la vie, plus rien. Ce départ a été un vrai suicide social. Je me disais que mon ego m'avait peut-être induite en erreur, peut-être que j'aurais dû continuer. Le plus grave est que j'avais placé tous mes espoirs en Amma et qu'à présent je ne croyais plus en rien du tout. J'étais complètement effondrée. Je repassais en revue tout ce que j'avais vécu, je cherchais d'autres points de vue, je cherchais à comprendre ce qui m'était arrivé et quelle suite donner à tout ça.

Ces recherches m'ont appris des choses ignobles. Les courants spirituels, que nous connaissons sous des aspects propres et lisses, ont les mêmes enseignements iniques que les grandes religions et sont parfois empreints de superstitions cruelles. Les orientaux qu'on nous présente comme étant de grands maîtres spirituels ont une vie privée à l'opposé de ce qu'ils prêchent en public. L'absolu, la béatitude, le détachement, la chasteté, la maîtrise de soi et la compassion sont dans leur bouche le jour. La nuit ce sont des femmes, des adolescentes ou des enfants qui sont entre leurs jambes. Sai Baba était l'objet d'accusations tellement graves que l'ONU s'est retiré. Ses fidèles disciples justifient ses actes en disant qu'il était dans un état divin donc ce qu'il a fait ne peut pas être évalué avec des critères humains. Pendant 5 ans j'ai accepté cette vision des choses, aujourd'hui je me pose des questions.

Les grands maîtres spirituels sont là pour nous guider. Leurs enseignements indiquent le chemin, leur vie sert d'exemple. Dois-je me transformer en obsédée sexuelle pour suivre l'exemple des grands maîtres? Dois-je inviter des bambins dans ma chambre car c'est pour leur bien, même s'ils ne s'en rendent pas compte? Dois-je faire travailler mes propres enfants jusqu'à épuisement, dans le dénuement total, parce que ça les aidera à se développer? Dois-je les traiter de façon arbitraire car mes aberrations apparentes ont une logique qu'il ne peuvent pas comprendre? Lorsqu'ils font des bêtises, dois-je engueuler le plus modeste de mes enfants et sourire à celui qui a prospéré, en leur disant que mon attitude envers eux est au delà de leurs capacités de compréhension?

On va me répondre : "mé non, t'es bête, t'as rien compris. Le maître est d'essence divine, c'est pas pareil, ses actes sont divins, nous n'en comprenons pas le sens, il ne faut pas les reproduire". C'est trop confus pour moi. Le maître est-il là pour donner l'exemple, oui ou non? S'il est là pour donner l'exemple, lesquels de ses comportements faut-il imiter, lesquels faut-il s'abstenir d'imiter? Est-ce qu'il agite une cloche pour indiquer à quel moment il est humainement imitable et à quel moment il est divinement inimitable?

Dans le cas d'Amma cette logique débouche sur un paradoxe troublant. Il faut imiter les comportements humains, ne pas imiter les comportements divins, OK, j'ai compris. Elle étreint des milliers de personnes par jour. Faut-il l'imiter ou non? Cette étreinte est l'expression de sa compassion, elle veut nous inciter à cultiver la compassion, donc il faut l'imiter. Sauf que cette étreinte s'appelle "vision de dieu", lors du devi bhava elle porte même des attributs divins. L'étreinte est un comportement divin, il ne faut pas l'imiter! Absurde n'est-ce pas? Si mon raisonnement est faux, quelle est la vraie logique a appliquer avec un maître spirituel?

En fait, la vraie logique, nous la connaissons très bien, nous la pratiquons tous instinctivement mais nous n'en parlons jamais car cela nous mettrait mal à l'aise. Les actes du maître, qui sont en accord avec la bonne moralité, sont finement disséqués par le mental pour en admirer toute la beauté et la subtilité. Les actes du maître, qui sont illogiques ou répréhensibles, sont automatiquement mis sur le compte de sa nature divine et balayés par le mental comme étant impossibles à comprendre. Nous faisons à peu près pareil avec nos parents avant l'adolescence, avec parfois à la clé des blocages psychologiques.

Dans ses enseignements, Amma dit qu'il faut se détacher, atténuer les émotions. Pourquoi ai-je l'impression qu'elle favorise les personnes qui débordent d'émotions? Pourquoi ai-je l'impression que les événements sont organisés de façon à amplifier les émotions? La dévotion est l'une des voies spirituelles en Inde. Le but est de diriger toutes ses émotions vers un unique objet divin afin de se détacher des objets matériels. Mais il y a une grosse différence entre diriger ses émotions et susciter de nouvelles émotions là où il n'en existait aucune. Procurer des émotions euphorisantes est un bon moyen pour s'attirer l'affection d'un être et neutraliser son intellect. Lorsqu'une personne est subjuguée par son affect, elle peut éventuellement se livrer à toutes sortes d'extrêmes pour continuer à s'abreuver d'émotions.

Cette relation maître-disciple est en réalité une dépendance purement affective. Être dépendant émotionnellement d'un être admirable dont les oeuvres sont épanouissantes, pourquoi pas? C'est sûrement une très bonne chose. L'enfant qui dépend de parents avisés et aimants se développe harmonieusement. Mais force est de constater que tous ces grands saints ne le sont qu'en parole. Leurs actes sont plus démoniaques qu'autre chose. Pour s'attacher à eux, il faut s'obliger à ne voir que leur face lumineuse. Lorsque la face sombre devient visible, on doit nier, se mentir.

Lorsque l'obscurité du maître éclairé devient envahissante, les multiples échappatoires possibles varient entre 2 extrêmes et se combinent à l'infini. L'échappatoire interne, c'est d'avoir recours à l'inexplicable, à la divinité, à élaborer des raisonnements théologiques de haut vol pour se convaincre que l'obscurité est une pure lumière, trop subtile pour être perceptible. Il s'agit de détruire la vérité intérieure. L'échappatoire externe, consiste à tenter d'anéantir toute chose, toute personne qui confirme l'obscurité du maître. Il s'agit de détruire la vérité extérieure. Dans tous les cas, conserver l'aura de sainteté du maître douteux, requiert de la destruction.

Pourtant de multiples témoignages prouvent la bienveillance du maître envers ses disciples et son immense pouvoir. Son simple contact dénoue des blocages psychologiques de façon spectaculaire. Comment un être ordinaire pourrait-il ainsi me transformer de l'intérieur? La transformation intérieure n'est-elle pas la preuve de sa divinité? J'ai moi même vécu un tel épisode avec Amma. À présent je comprends que le pouvoir de guérison ne vient pas du maître mais de l'intensité des émotions du dévot. Pourquoi le super atelier de machin-truc fut instructif sans plus, tandis qu'un simple contact avec Amma m'a libérée? Parce que dans l'atelier j'étais dans un état émotionnel normal alors qu'avec Amma j'étais dans un état émotionnel extrêmement intense, convaincue d'être en face d'une divinité.

La mobilisation d'émotions intenses et profondes bouleverse complètement les schémas internes. Mon bouleversement peut mettre en mouvement des émotions stagnantes, actionner des leviers psychiques inconnus jusque là, réveiller les organes de perception extra-sensorielle. Mon bouleversement peut être grave au point d'occasionner une totale réorganisation de ma structure mentale. C'est le bouleversement émotionnel intense, que j'ai volontairement provoqué, qui opère des miracles en moi. Si je suis fermement convaincue que dieu habite dans une pierre au point d'être bouleversée au moindre contact, la simple vue de ce caillou me libérera miraculeusement de tous mes maux. Si je supprime mes émotions, l'objet de ma dévotion devient totalement impuissant, malgré mes croyances.

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