La bénédiction ultime

Je me souviens lorsque j'étais dévote de Mata Amritanandamayi.

Ses photos étaient collées dans toutes les pièces de mon appartement. Dans le salon était installé un autel où sa photo trônait dans un beau cadre, entouré de lampes à huile, de plumes de paon, d'un collier de fleur qu'elle avait porté, de jasmin frais et de plein d'autres objets évoquant une atmosphère spirituelle. Je mettais souvent du Marikolundu sur mon oreiller, malgré son odeur âcre, lourde et désagréable. Dans le tiroir de ma table de chevet, on pouvait trouver de l'eau bénie par Amma et de la cendre sacrée qu'elle m'avait donnée lors du darshan. J'avalais de temps en temps un peu de l'un ou de l'autre.

Lorsque je n'étais pas trop fatiguée le matin, je récitais les 108 noms d'Amma et les 1000 noms de la mère divine en Sanscrit. Je lisais tous ces livres pour apprendre en quoi consiste la voie spirituelle. Je pratiquais quotidiennement la méditation IAM, qui est un mélange de postures de yoga et de visualisations. Une semaine sur deux, j'allais au centre Amma de Pontgouin pour me ressourcer, m'aérer, faire du bénévolat... et bien sûr je répétais mon mantra à longueur de journée.

Mais quelque chose n'allait pas. Ma vie au niveau social, professionnel, familial et affectif battait piteusement de l'aile. Ce n'est pas bien grave paraît-il, l'aspect matériel du monde est insignifiant.

Je me sentais de plus en plus fatiguée. Je ne comprenais pas. Pourquoi n'étais-je pas galvanisée par le fait de suivre une incarnation divine? Pourquoi la brève euphorie des cérémonies et des programmes se transformait-elle invariablement en épuisement? Pourquoi ce sentiment d'être abattue à chaque fois que j'étais en contact avec certaines personnes, aussi souriantes soient-elles en apparence?

Et le doute... Pourquoi avais-je l'impression que ce qui se passait dans l'organisation ressemblait exactement à ce qui se passait en dehors? Les mêmes égoïsmes, les mêmes fausse foi, tricheries, mépris et hypocrisies en tout genre, les mêmes soifs de pouvoir, les mêmes requins sans scrupules qui se servent des autres et qui écrasent tout ce qu'ils trouvent sur leur chemin. Sauf que dans l'organisation il ne faut ni protester, ni se défendre. Ces aléas sont supposés nous faire grandir spirituellement. Notre ego nous fait voir du mal là où il n'y a que pure sainteté.

Pourquoi avais-je l'impression que la pratique était l'exact contraire des beaux discours qu'Amma prononce sur scène? Nous étions censés nous détacher de tout et nous attacher à Amma, pour ensuite nous détacher d'elle afin de progresser vers le divin. Mais il y avait là des dévots qui la suivaient depuis plus de vingt ans (!) Le seul "progrès" qu'on constatait chez eux était l'attachement sans cesse croissant envers Amma. Attachement ou dépendance?

Un jour, en Inde, alors que je discutais spiritualité avec une française, j'ai eu le malheur de dire : "Le jour où Amma quittera son corps ..." Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase. Elle m'a fusillée du regard en disant que "ça n'arrivera jamais". J'ai rétorqué : "Mais..." Elle a haussé le ton, elle a remis quelques cartouches dans son regard et m'a mitraillée de toute sa haine en criant que "ça n'arrivera jamais". Fin de la discussion. Gros silence. Elle était fâchée. J'étais perdue. Amma elle-même dit que la mort n'est qu'un point final à la fin d'une phrase, marquant le début d'une nouvelle phrase. Une autre vie recommence derrière. Alors quoi? Les dévots crient : "Amma! Amma!" mais ils n'écoutent pas ce qu'elle dit? Ou alors ils écoutent juste pour répéter et briller d'érudition en société? Ils ne mettent rien de tout cela en pratique? Est-ce qu'au moins ils croient à ses "enseignements"?

Fatiguée. De plus en plus fatiguée. Toujours plus fatiguée. Je me suis dit que je n'étais pas assez investie. C'est ça. Je fatigue et je doute parce que je ne suis pas assez en contact avec elle. Il fallait aller encore plus loin. Pour commencer il me fallait un objet béni qui ne me quitte jamais. Lorsqu'Amma touche un objet, il est béni. Lorsqu'on est en contact avec l'objet, la bénédiction se transmet à nous.

Lors d'une discussion, des dévots ont affirmé que lorsqu'on se baigne dans la même eau qu'une grande âme, ses vibrations se transmettent à nous grâce à l'eau et nous bénissent. J'ai répondu : "Vu que plein de saints plongent dans le Gange et que tous les fleuves se jettent à la mer alors il suffit d'aller se baigner à la plage pour être béni". Ils m'ont regardée d'un air dépité, en reconnaissant qu'effectivement ce n'était pas faux.

Mais j'avais déjà tellement d'objets bénis : un mala, un rudraksha, l'eau, la cendre, la serviette de la pada puja, mon livre d'archana, le pendentif en émeraude, la moquette du darshan de Londres tapisse mon salon... Qu'est-ce que je pourrais faire bénir de plus? Qu'est-ce qu'elle pourrait toucher qui resterait constamment avec moi, ou même mieux, en moi? C'est là que j'ai eu un choc.

Elle m'a touchée!

Mais oui, pendant le darshan. Tout ce qu'elle touche est béni. Mon corps est béni. Plusieurs fois même. Quel objet peut être plus proche de moi que mon propre corps? Aucun. Impossible d'aller plus loin en terme de bénédiction. Mais alors pourquoi ce besoin de courir après les objets bénis alors que j'en ai un qui ne me quittera que le jour de ma mort? Suis-je tellement bête ou spirituellement attardée au point de ne pas sentir cette bénédiction et d'en rechercher vainement d'autres?

Mais au fait je ne suis pas la seule. Tous les dévots courent après les objets bénis. Certains sont prêts à payer des fortunes pour ça. Les saris en soie portés par Amma lors du Devi Bhava coûtent des milliers d'euros. Lorsqu'elle mange des sucreries pendant le darshan, son entourage se partage religieusement les miettes tombées de sa main. Ceux qui viennent la voir apportent toutes sortes d'objets personnels pour quelle les remplisse de ses divines ondes positives. Les instructions disent même que pour faire bénir un animal, inutile de le traîner jusqu'aux pieds d'Amma, une photo suffit.

Ça se bagarre sec dans l'organisation pour obtenir des postes "hauts placés" et avoir ainsi l'occasion de s'approcher d'elle d'une façon ou d'une autre. Ça magouille dur, à coup de piston et de copinage pour avoir l'honneur de méditer près d'elle, de toucher ses pieds, de lui mettre le bonbon dans la main pendant qu'elle donne le darshan. La jolie puja avec du feu et des pétales de rose, qui est secrètement effectuée sur le tour, coûte 299€ par personne. Vous imaginez le tarif pour une famille entière? Je ne suis pas la seule à courir après les bénédictions. Je suis d'ailleurs une petite joueuse parce que certains font carrément un sprint.

Ce qu'on ressent pendant le darshan est éphémère. On doit ensuite s'entourer d'objets, chanter les bhajans, visionner les vidéos, écouter les CD, lire les livres, rencontrer les autres dévots, participer à l'Arati, faire les pratiques spirituelles... s'acheter une poupée à l'effigie d'Amma. Tout est bon pour raviver les sensations du darshan. Mais au fait. Est-ce vraiment de la bénédiction? Et si son toucher ne bénissait rien du tout? Cela expliquerait la course incessante. On cherche de plus en plus de bénédiction parce qu'en fait il n'y en a pas. Comme un tas d'affamés qui avalent des litres d'air sans se demander pourquoi ils ont toujours faim.

La nuit où cette pensée m'a effleurée, j'ai prestement balayé mes réflexions "blasphématoires". Quelle honte! Comment puis-je laisser mon ego m'éloigner du droit chemin? Mais c'était trop tard. La foi chancelante avait commencé à s'effilocher. J'ai fait tout mon possible. J'ai bataillé et bénévolé pour continuer à croire. Mais tout ce que j'y ai gagné, c'est un regain d'épuisement, une dépression (médicalement diagnostiquée) et une situation financière catastrophique parce que ça coûte cher la course aux b€n€diction$.

Lorsque j'ai vu Amma frotter le ventre d'un hypocrite et l'inviter à rigoler dans sa caravane, j'ai ressenti une pointe de colère. Ce type nous mettait des bâtons dans les roues en toute mauvaise foi depuis des années. Il cherchait à faire échouer un important projet d'utilité publique, dont la mise en oeuvre risquait de lui retirer certaines de ses prérogatives. Être responsable donne droit à des bénédiction-bonus. Cela permet aussi de se faire remarquer par Amma. Certains "anciens" regardent donc d'un mauvais oeil les nouvelles compétences ou nouvelles idées, susceptibles de saper leurs privilèges de super-bénévoles. Cet épisode a mis un sacré coup de hache dans ma foi déjà sérieusement ébréché.

Lorsque j'ai entendu une rumeur selon laquelle Gayatri "l'ombre d'Amma" se préparait à publier un livre pas câlin du tout, le peu de foi qui me restait s'est brisée sur le sol. On m'avait raconté qu'elle vivait heureuse à Hawaï, qu'elle s'occupait de dauphins et qu'elle était remplie d'éternelle gratitude envers Amma. C'est alors que j'ai trouvé les 40 raisons de partir qu'elle avait postées sur internet. Ma décision était prise. Son témoignage faisait écho à ce que je ressentais. Il fallait partir. Adieu les quelques amis que j'appréciais car bien évidemment, rester en contact avec une déserteuse, c'est courir le risque de perdre la foi ou de se disputer constamment au sujet de "l'incarnation divine".

Un an après mon départ, je suis brièvement retournée au centre Amma de Pontgouin. A ma grande surprise, j'ai appris que si je ne venais plus au centre, c'était parce que, poussée par ma foi débordante, j'étais devenue renonçante et je m'étais définitivement installée dans l'ashram d'Amritapuri en Inde! Si, si, des dévots m'y ont vue de leurs propres yeux!!!

Qu'elle est stérile, la course aux bénédictions qui ne sont jamais assez bénies. C'est triste de voir ces affamés spirituels, qui engloutissent de la nourriture soi-disant divine et qui trouvent normal de ne jamais être rassasiés, au point d'en redemander encore et encore.

C'est normal en effet. Les "enseignements" disent que le cheminement spirituel est mystérieux, long et difficile. Le chemin est mystérieux donc les paradoxes indiquent qu'on évolue dans la compréhension. Le chemin est long donc les répétitions indiquent qu'on progresse. Le chemin est difficile donc les tourments indiquent qu'on s'approche de la béatitude!

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